«Requiem» de Dompierre: mais qui est mort? (2024)

Le Requiem de François Dompierre a été créé vendredi soir par l’Orchestre philharmonique et choeur des mélomanes sous la direction de Francis Choinière. L’oeuvre, couplée en concert avec le Requiem de Fauré, reprise samedi soir à la Maison symphonique et dimanche après-midi au Palais Montcalm, se déploie comme une suite de tableaux sonores.

En établissant pour Le Devoir son trio de Requiem préférés, François Dompierre avait clairement choisi Mozart, Fauré et Verdi, le compositeur avouant aussi un attachement pour le War Requiem, de Benjamin Britten.

Le genre et ses codes

Ayant pensé de longue date à composer un Requiem quand il visitait des cathédrales en Europe, Dompierre est rempli de ces références. Tout comme le choix de la tessiture du soliste dans «Tuba mirum», son «Confutatis» de la section «Lacrimosa» est un limpide hommage à Mozart, presque candide dans les ultimes mesures, calquant celles du modèle. Les chuchotements du «Dies Irae» simulent ceux de Britten. Ils se superposent au thème grégorien. On pense aussi aux voix d’enfants chères à Britten dans le «Lux aeterna».

Un compositeur de Requiem doit aussi opérer des choix de textes: Dompierre a voulu un «In Paradisum», séquence réintroduite au XXesiècle par Fauré et Duruflé. Il a, par contre, écarté «Pie Jesu», mais en a préservé le principe, que l’on retrouve aussi dans le Requiem allemand de Brahms: celui d’un apaisant solo de soprano. Chez Dompierre, ce solo, point d’ancrage au milieu de l’oeuvre, est l’«Hostias», chanté par Myriam Leblanc, un «tube» en soi. Ici ce noeud central est double, car au solo de soprano succède un air de ténor façon Bocelli. Dernier «code» majeur des Requiem, le retour d’un moment fort dans le «Libera me», l’avant-dernier volet. Chez Verdi, c’est la violente résurgence du «Dies Irae» (jugement dernier). Chez Dompierre, c’est celle du thème du «Requiem» de l’Introït.

Pauvre Lazare

On reconnaîtra à François Dompierre le mérite de la lucidité. Il pose lui-même la bonne question en conclusion du préambule de sa partition: «Oeuvre profane, oeuvre religieuse? Ce sera à vous d’en juger. Oeuvre sincère? Sans aucun doute.» Le compositeur s’est fait un film sonore sur des sentiments humains en 12 tableaux atmosphériques au détriment de la cohésion et du mysticisme. Les sections les plus «religieuses» («Kyrie», «Benedictus», «Agnus») ne sont pas les plus inspirées. Dompierre est à l’aise quand il produit un effet (cf. le «Sanctus» en néoclassique syncopé).

Dans tout Requiem comportant un «In Paradisum», c’est cet ultime mouvement que l’on guette. C’est aussi celui que Dompierre a diffusé avec fierté à la presse comme «mise en bouche». Nous avons écrit qu’il évoquait la Misa Criolla d’Ariel Ramírez. La veine mélodique est splendide. Mais en grattant un peu, c’est un mouvement qui laisse pantois.

Premier coup d’assommoir: la langue latine est massacrée sur un accent tonique des plus évidents, celui sur «paradisum» qui se trouve sur la syllabe «di». Accentuer «sum» est pure hérésie. Personne n’a donc remarqué, entre la composition et la création, enregistrement inclus, que les deux seules formules possibles étaient «In Pa-a-ra-di-sum» ou «In Pa-ra-a-di-sum», mais en aucun cas l’odieux «In Pa-ra-di-su-um»?

Second point, l’essence même de «In Paradisum» est le message «Et cum Lazaro quondam paupere aeternam habeas requiem» (Et qu’avec Lazare, le pauvre de jadis, tu jouisses du repos éternel). Lazare est le personnage de la «Parabole du riche et de Lazare» de l’Évangile de Luc. L’accès du pauvre au paradis, et donc de l’homme de toute condition, est la raison d’être de «In Paradisum». Amputer ce morceau de phrase est donc incroyable… sauf si la raison d’être est d’avoir une chansonnette finale, certes non dénuée de joliesse, mais vide de sens.

Comparatifs

Comme le défunt n’accompagne pas Lazare, on se demandera in finequi est mort, ce qui ne surprendra pas, car le recueillement n’est pas le maître mot définissant la composition. Tout cela ne change rien à l’agrément de ce Requiem profane en douze tableaux plus ou moins évocateurs, que l’on ne manquera pas de comparer sous peu avec le Dream Requiem de Rufus Wainwright créé à Paris vendredi prochain.

Ceux qui le veulent mesureront celui de Dompierre, lors de la parution du CD le 13septembre, à ceux de deux compositeurs de pareille obédience: celui plus flamboyant et ambitieux d’Andrew Lloyd Webber, qui ne s’est certes pas imposé depuis 40ans, et celui, intensément recueilli, de Zbigniew Preisner dédié au cinéaste Krzysztof Kieslowski.

Cette nouvelle oeuvre de Dompierre a été servie par un chef engagé, des choeurs justes et Myriam Leblanc, Andrew Haji et Geoffroy Salvas, des solistes parfaitement choisis. En première partie, Francis Choinière avait opté pour le Requiem de Fauré, dirigé de manière très fluide, mais relativement linéaire avec un manque de consonnes dans la prononciation chorale. Originalité. Malgré le choix de la version avec violons, nous avons été surpris par un Sanctus avec violon solo comme dans la version de 1892.

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